1. La période révolutionnaire
En 1790, l'Assemblée constituante (17 juin 1789-30 septembre 1791) remplace les impôts d'Ancien Régime (taille, dîme, vingtième, capitation) par quatre grandes contributions directes, parmi lesquelles la contribution foncière. Afin que cette nouvelle contribution soit répartie équitablement sur toutes les propriétés, les révolutionnaires - sous la pression de l'opinion qui s'est exprimée dans les cahiers de doléances en faveur d'une meilleure répartition de l'impôt - ont l'idée d'un cadastre ; en 1791, ils décident le levé du plan parcellaire du territoire et la création d'un bureau du cadastre.
Le baron Gaspard-Marie Riche de Prony, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, prend la tête du bureau du cadastre et manifeste de grandes ambitions ; son projet dépasse un simple levé topographique :
- il crée en 1795 l'école des Géographes du cadastre qui doit former les ingénieurs à dresser les cartes au 1/200 000e nécessaires aux travaux des arpenteurs,
- il met en place les tables trigonométriques (dans le nouveau système métrique),
- il souhaite une véritable enquête sur la nature des sols, les différentes cultures, les ressources industrielles, la géographie hydraulique, etc.
Une agence des contributions directes est créée dans chaque département sous le Directoire par la loi du 22 brumaire an VI (12 novembre 1797). Ces agences sont remplacées le 3 frimaire an VIII (24 novembre 1799) par une direction du recouvrement des impôts directs. Composée d'un directeur, d'un inspecteur et de contrôleurs, cette nouvelle direction établit les matrices des rôles des contributions directes en lieu et place des municipalités. Les personnels, élus pour partie depuis la Révolution, sont fonctionnarisés par Bonaparte.
En 1798, un décret prévoit la division en sections du territoire de chaque commune, l'établissement d'un « état de section » (tableau des propriétés de chaque section) et d'une « matrice cadastrale » (relevé de chaque contribuable).
Malgré toutes ces mesures, le cadastre ne voit pas le jour (guerres révolutionnaires, application du mètre à l'ensemble du territoire, fabrication des instruments de mesure, détermination des échelles, etc.) et le bureau du cadastre est fermé en 1801, date à laquelle paraît l'instruction sur la refonte générale des matrices de rôles de la contribution foncière demandant l'arpentage des propriétés (2 pluviôse an IX).
2. Le cadastre par masses de culture
Le 12 brumaire an XI (3 novembre 1802), les Consuls de la République promulguent un arrêté concernant les opérations à faire pour parvenir à une meilleure répartition de la contribution foncière. Ils décident le levé d'un cadastre par masses de culture.
- Principe : à partir d'un plan établi au 1/5 000e, il s'agit de diviser le territoire communal en masses circonscrites par des limites naturelles. Tous les terrains cultivés de la même manière et portant des récoltes identiques (terres labourables, prés, landes,…) sont réunis en une seule masse et représentés sur le plan.
- Opérations : fixation des limites des communes ; arpentage en l'an XI de 2 à 8 communes par sous-préfecture ; arpentage par section et par nature de culture ; les communes arpentées sont désignées par le sort et le tirage se fera à Paris. Les communes du Morbihan tirées au sort sont les suivantes : Malguénac, Roudouallec (arrondissement de Pontivy), Caro, Évriguet (arrondissement de Ploërmel), Pluneret, Nostang (arrondissement de Lorient), Meucon, Férel, Les Fougerêts (arrondissement de Vannes).
En outre, l'arpentage est confié par le préfet à un géomètre arpenteur qui s'adjoint le nombre de collaborateurs nécessaires. Les frais d'arpentage sont supportés par toutes les communes du département.
Il est d'abord prévu d'exécuter ce cadastre dans un échantillon de 1 800 communes et de déduire les forces contributives des communes non arpentées à l'aide d'un coefficient d'adaptation. Ce système ne s'est pas montré fiable. Le 27 vendémiaire an XII (20 octobre 1803), il a donc été décidé d'étendre ce cadastre à toutes les communes de l'Empire. Dans le département, 26 communes sont proposées à l'arpentage en l'an XII : Pontivy, Noyal-Pontivy, Saint-Gonnery, Croixanvec, Neulliac, Cléguérec (arrondissement de Pontivy) ; Réminiac, Augan, Monteneuf, Guer, Saint-Malo-de-Beignon (arrondissement de Ploërmel) ; Auray, Plougoumelen, Crach, Carnac, Locmariaquer, Plouharnel, Quiberon (arrondissement de Lorient) ; Saint-Avé, Plaudren, Grand-Champ, Plescop, Ploeren, Baden (arrondissement de Vannes).
Mais la mise en œuvre de ce cadastre par masses de culture fait naître de nombreuses critiques dont témoigne la correspondance entre les diverses autorités (maires, sous-préfets, préfet, directeur des contributions directes, ministre des Finances) :
- absence d'arpenteurs qualifiés, faisant preuve « d'expérience, d'intelligence et de probité » ; faiblesse de leur rétribution ;
- on oppose aussi le relief et les contraintes du climat : le sous-préfet de Lorient évoque les particularités du Morbihan « en comparaison des grandes plaines de la région de Paris où la levée des plans peut se faire plus promptement et à moindre frais : chez nous, les plus petites propriétés se trouvent traversées de beaucoup de fossés, de terrain très inégal et par conséquent sujet à bien plus de variation dans la qualité des terres, tout cela rend plus long, plus difficile et plus coûteux le travail à faire » ;
- mauvaise qualité ou imprécision des plans ;
- apparition de conflits dûs aux différences entre la somme des contenances déclarées (mauvaise foi des propriétaires) et le résultat de l'arpentage ;
- erreurs sur les unités de mesure employées ;
- inexpérience des experts des contributions en matière de plans.
L'Administration, qui veut connaître plus précisément les revenus fonciers de la Nation, et les propriétaires, qui se plaignent toujours de l'inégale répartition de l'impôt, réclament donc le cadastre parcellaire.
3. Le cadastre parcellaire
Dès 1805, des tentatives de cadastre parcellaire à partir des plans par masses de culture voient le jour. Ce cadastre parcellaire est dit « de première époque » : chaque propriété est décrite par parcelle mais à partir des travaux de cartographie et d'enquête par masses de culture.
15 septembre 1807 - Loi ordonnant la mise en place du cadastre parcellaire (dit « cadastre napoléonien » ou « ancien cadastre »), complétée par un règlement impérial du 27 janvier 1808 qui marque le véritable démarrage du cadastre.
Objectif exprimé par le ministre des Finances Gaudin :
- mesurer chaque parcelle ;
- reporter les parcelles sur un plan en plusieurs feuilles ;
- classer les parcelles d'après le degré de fertilité du sol ;
- évaluer le produit net de chacune d'elles ;
- les réunir ensuite sous le nom de chaque propriétaire ;
- déterminer le total de leur produit ;
- en déduire l'allivrement de chaque propriétaire.
Napoléon envisage ce cadastre comme le complément naturel de son Code Civil pour garantir la propriété individuelle. « Il faut que les plans soient assez exacts et développés pour servir à fixer les limites de propriété et empêcher les procès ».
En 1809, la France est divisée en 12 divisions cadastrales dirigées chacune par un inspecteur général des contributions directes et du cadastre. C'est le résultat de leur travaux qui conduit à la parution, en 1811, du « Recueil méthodique des lois, décrets, règlements, instructions et décisions sur le cadastre de la France ; approuvé par le Ministre des Finances ». Ce texte décrit précisément les modalités de confection et de dessin des plans parcellaires.
Sur l'ensemble du territoire, 9 000 communes sont cadastrées en 1813. Les travaux s'interrompent (chute de l'Empire) puis reprennent à un rythme moins élevé à partir de 1818.
1821 - Loi de finances (31 juillet), suivie de l'ordonnance royale (3 octobre) puis du « Règlement général pour l'exécution des opérations cadastrales » (10 octobre).
Cette réglementation vise à simplifier et à diminuer le coût de l'arpentage parcellaire. Elle décide que les opérations cadastrales seront dès 1822 circonscrites à chaque département et menées par canton, l'État continuant à surveiller la réalisation des travaux. Les départements font voter les budgets. La confection du cadastre est très vivement désirée dans le Morbihan comme en témoignent les délibérations de l'assemblée des années 1820 (il faut « mettre un terme à la révoltante inégalité entre les citoyens et l'imposition foncière » - AD56, N 3). En outre, les textes de 1821 permettent la réalisation des états de section et des matrices.
1836 - Un projet prévoit le renouvellement des plans et leur conservation (mise à jour) annuelle.
7 août 1850 - Loi relative à la réfection du cadastre (elle a concerné les départements du Nord et de la Meurthe-et-Moselle). Le renouvellement des plans est porté à la charge financière des communes.
Les conséquences de la révolution industrielle et de l'urbanisation, les remembrements et le développement des voies de communication ont rapidement mis en lumière le défaut de conservation du plan, c'est-à-dire le fait de ne pas mentionner sur le plan même, les modifications portées aux parcelles.
1891 - Un décret institue une commission extra-parlementaire du cadastre, chargée d'étudier les questions soulevées par le renouvellement des opérations cadastrales. Elle siège jusqu'en 1905.
16 avril 1930 - Loi de rénovation générale du cadastre.
La rénovation peut prendre deux formes, soit une révision (mise à jour du plan), soit une réfection complète (loi du 17 décembre 1941). La rénovation ne s'est pas faite dès 1930 pour toutes les communes de France ; certaines n'ont été touchées par l'opération que dans les années 1970. C'est le cas d'un certain nombre de communes du Morbihan.
4. Les opérations cadastrales
a) - Les acteurs
Au XIXe siècle, les ingénieurs et géomètres du cadastre forment un nouveau corps de fonctionnaires ; ils sont rattachés à la direction générale des contributions foncières. Des cours de géométrie pratique ouvrent à Paris dès l'an XI et plus tard dans certains départements (à Rennes en l'an XIV).
Structure hiérarchique :
- géomètre en chef ou ingénieur-vérificateur : chargé du levé des plans ; nommé par le préfet, il doit résider au chef-lieu du département et ne pas exercer d'autres fonctions ; il choisit ses collaborateurs ;
- géomètre de première classe ou géomètre : dresse les plans, calcule les surfaces à partir des plans et établit les liens avec les travaux de géodésie de l'ingénieur géographe ;
- géomètre de seconde classe ou arpenteur : réalise des relevés ponctuels de parcelles.
Sur le terrain, ces fonctionnaires doivent se confronter aux autorités municipales. Un expert, chargé de l'évaluation des terres, mais n'ayant aucune formation d'arpentage et de géométrie, leur est adjoint.
À partir de la fin des années 1820, la confection du cadastre représentant une œuvre de longue haleine, les travaux peuvent être confiés à des arpenteurs « privés ».
b) - La délimitation du territoire communal
La reconnaissance précise des lignes de circonscription de la commune est réalisée par un géomètre « délimitateur » nommé par le préfet. Des indicateurs, nommés par le maire dans la commune délimitée et choisis dans les communes limitrophes, sont chargés de constater contradictoirement la démarcation du territoire communal.
Elle donne lieu à un procès-verbal de délimitation des communes (ou vérification des limites) auquel est annexé un croquis figuratif (ou plusieurs).
Des bornes sont posées dans les communes qui n'ont pas de limites naturelles. Pour les communes du littoral, l'instruction précise : « Les terrains que la mer ne laisse que momentanément à découvert sont censés appartenir à cet élément ; dès lors, on pense que la limite de la commune doit être fixée à celle des eaux de la mer dans leur plus grande élévation ».
Le territoire communal est ensuite divisé en sections afin de faciliter le repérage des immeubles en délimitant des superficies. Chaque section est désignée par une lettre majuscule suivie de sa dénomination (Section B des Landes), puis d'une référence au numéro de la feuille. Cette procédure est également décrite dans un procès-verbal, adressé au directeur des contributions directes.
L'ordre des sections commence par le nord et tourne en spirale dans le sens des aiguilles d'une montre pour se terminer au centre.
c) - La triangulation
Cette opération a lieu pendant l'année qui précède celle de l'arpentage. Le triangulateur est nommé par le préfet, d'après la proposition du géomètre en chef qui vérifie son travail. Il exécute les calculs trigonométriques, puis doit se rendre sur les lieux afin d'indiquer aux géomètres chargés du levé des plans les points de la triangulation. Le Recueil méthodique de 1811 préconise le rattachement à des points pris dans les communes limitrophes (clochers, moulins, etc.).
d) - Le levé du plan ou arpentage
Principes de base du travail des géomètres arpenteurs :
- présenter pour chaque section les différentes natures de culture qui seront distinguées par une couleur, ou par des lettres (Lb pour Labour, Pt pour Pâture, etc.) ;
- uniformité de disposition : orientation plein nord ;
- uniformité d'échelle.
Le géomètre arpenteur reçoit une indemnité d'un maximum de 50 centimes par hectare. Il remet la minute du plan au géomètre en chef pour la vérification. Un procès-verbal d'arpentage est rédigé.
Les atlas destinés aux communes sont dessinés dans les bureaux du géomètre en chef après le classement des propriétés.
e) - L'expertise
L'expertise détermine le revenu imposable de la commune par l'estimation de toutes ses propriétés.
- Classification des propriétés en se fondant sur la qualité des sols : l'expert fixe le nombre de classes (de 1 à 5) de chaque nature de culture (par exemple : terres labourables = 5 classes, prés = 5 classes, jardins et courtils = 5 classes, pâtures = 4 classes, vergers = 3 classes, bois futaies = 1 classe, bois de pins = 3 classes, etc.). Les maisons comptent 10 classes.
- Classement des propriétés : attribution du numéro de la classe (la première classe est attribuée aux terres les plus fertiles, donc les plus imposables).
- Évaluation proportionnelle du revenu imposable des diverses natures de culture : fixation d'un produit moyen par hectare qu'on applique à la superficie de la parcelle. Les propriétés bâties sont imposées en fonction de leur superficie et de leur élévation. L'évaluation est adoptée par le conseil municipal.
- Élaboration de l'état de section et de la matrice de rôle : distribuer entre les classes établies et reconnues tous les terrains que chaque genre de propriété occupe.
Les travaux d'évaluation cantonale sont soumis à un contrôle fondé sur des documents complémentaires (baux, actes de vente, actes de partage, listes des moulins et usines, rapports des agents des contributions directes, etc.) qui donnent une idée globale de la situation agraire, économique et sociale d'une commune dans la première moitié du XIXe siècle.
Si l'expertise est acceptée, les propriétaires sont informés du résultat par des bulletins distribués individuellement. Les propriétaires disposent d'un délai de six mois après le classement de leur propriété pour manifester d'éventuelles réclamations.
Pour mener toutes ces opérations, l'expert est entouré d'un contrôleur, du maire de la commune et de deux classificateurs (propriétaires nommés par le conseil municipal) dont le rôle consiste à défendre les droits des contribuables en éclairant l'expert, en prévenant les erreurs et les sur-évaluations ; l'expert ne doit être ni domicilié ni propriétaire dans le canton.